Kamel Daoud et Boualem Sansal font partie de ces écrivains Algériens francophilophones qui bénéficient d’une importante couverture médiatique en France. Pourtant, ces écrivains ne font pas l’unanimité en Algérie. Leurs récits, cadrés toujours dans un registre islamophobe et arabophobe, dénigrent, sans cesse, la société algérienne. Sa religion, sa culture traditionnelle, sa langue et sa mémoire commune sont constamment attaquées, raillées, souillées, exhibées et jetées en pâture à cet Occident “moderne et développé”. Ces écrivains, nostalgiques du temps de la colonisation française, ont cette particularité de ne pas aimer leur peuple et de ne jamais s’adresser à lui ; car s’ils n’écrivent que sur les tares supposées de leur peuple, ces écrivains ne s’adressent qu’aux seuls occidentaux.

En Algérie, rares sont les intellectuels, qui osent dénoncer ces écrivains néocolonisés et leurs écrits idéologiquement hostiles à la société algérienne. Parmi ces rares intellectuels, Ahmed Bensaada vient de signer un essai critique qui comble ce vide et ouvre, du moins espérons-le, un débat Algéro-algérien sur ce phénomène.

Kamel Daoud : Cologne contre-enquête” de Bensaada, paru aux éditions Frantz Fanon, dissèque le cas Daoud : ses idées, ses positions politiques et idéologiques, ses défenseurs et son réseau de soutien. Le titre de l’essai rappelle celui de “Meursault: contre-enquête”, dernier roman de Kamel Daoud. Mais, si ce dernier s’inspire des écrits de Camus le pied-noir, la contre-enquête de Bensaada s’inspire, elle, des écrits d’Albert Memmi, grande figure Africaine de la décolonisation culturelle …

Bensaada prends comme référence le portrait du colonisé de Memmi pour esquisser, à son tour , le portrait de l’écrivain néocolonisé du 21e siècle:

"… Intronisé dans le temple de la science infuse, complétement phagocyté par la bien-pensance occidentale, il s'extirpe du territoire qui l'a enfanté et tend un énorme doigt accusateur par-delà la Méditerranée en toisant ses compatriotes d'antan. Car lui, l'écrivain parvenu, n'a plus rien à voir avec cette vile engeance qui lui servait de peuple, cette populace qui s'est fâchée avec le progrès tout en se complaisant dans une inculture abyssale."

C’est ce portrait de l’écrivain néocolonisé qui constitue la trame de fond de l’essai de Bensaada dont l’enquête adopte la grille de lecture pour analyser les écrits de Kamel Daoud.

Dans “Cologne contre-enquête”, Bensaada dénonce, en premier, le discours islamophobe de Kamel Daoud qui diabolise tous les musulmans dans ses articles phares sur le drame de Cologne, parus dans les journaux Le Monde et The New York Times. Il expose cette vision binaire de l’auteur ; d’un côté l’arabo-musulman sauvage et arriéré et de l’autre l’occidental moderne et développé ; mais il dénonce surtout “la marque du pluriel” caractéristique des écrits de Daoud qui a tendance à noyer “l’autre”, “l’arabo-musulman” dans un collectif anonyme.

"Cette marque du pluriel a pour conséquence d'attribuer les crimes d'une personne ou d'un groupe de personnes à toute une communauté, voire une nation, une religion. Ce traitement collectif n'est pas de mise lorsqu'il s'agit des agissements répréhensibles des Occidentaux. Les actes d'un occidental n'engagent que sa seule personne."

L’autre point soulevé est le “conflit linguistique” qui habite Daoud exprimé par le paradoxe : langue arabe colonisatrice vs langue française libératrice, qui n’est, selon Bensaada, que la conséquence logique du rejet par Daoud de son arabité et de son islamité exprimé maintes fois dans ses romans et chroniques.

"Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l'humiliée l'écrasée. Et ce mépris, objectivement fondé il finit par le faire sien. De lui-même, il se met à écarter cette langue infirme, à la cacher aux yeux des étrangers, à ne paraitre à l'aise que dans la langue du colonisateur" A. Memmi

Quant à la honteuse position de Daoud non solidaire avec le combat palestinien, elle fait tout naturellement écho au parti-pris occidental (et de l’ancien colonisateur) qui met sur un pied d’égalité l’oppresseur et l’opprimé. Position qu’on retrouve dans sa nostalgie de l’Algérie …du temps de la colonisation.

Enfin, Bensaada ne manque pas de dénoncer la victimisation de Kamel Daoud brandit à chaque critique contre l’auteur. Ce dernier est souvent présenté par ses défenseurs comme double victime, à la fois, d’une fetwa religieuse lancée par un pseudo imam qui l’a accusé d’apostasie et d’une fetwa laïque lancée par des universitaires “jaloux” qui l’ont accusé “injustement” d’islamophobie. Au passage, l’auteur nous dévoile les membres de son réseau de soutien très suspect. Ces illustres défenseurs sont connus, soit pour leur islamophobie affichée, soit pour leurs positions pro-sionistes. Ils se comptent parmi les néocolonisés tels que : Mohamed Sifaoui et Djemila Benhabib … ; ainsi que parmi des personnalités de l’ancienne puissance coloniale tels que : Charb de Charlie hebdo, Michel Onfray, Alain Finkielkraut et Manuel Valls…Pour ces derniers, Daoud représente le “bon mususlman qu’on aime bien en occident” qui joue le rôle de “l’informateur indigène” bien utile à l’occident islamophobe.

A la fin de son enquête, Bensaada nous gratifie de deux contre-exemples : Amine Malouf et Danny Laferrière qui parlent de leurs origines avec fierté et surtout avec amour et sans l’ombre d’animosité pour leur peuple.

Les mots choisis par Amine Malouf pour qualifier sa langue arabe devrait couvrir de honte certains de nos fameux intellectuels francophilophones…

L’arabe est une partie de moi-même dont je me sens incapable de me démettre ou plutôt dont je ne veux jamais me démettre” Amine Malouf

Cologne, contre-enquête de Bensaada est un essai critique innovant dans le sens qu’il s’inscrit dans une problématique de décolonisation culturelle dans l’Algérie postcoloniale. Son enquête intellectuelle, menée avec des arguments, j’allais dire des preuves, référencées, croisées et synthétisées, réussit à critiquer et dénoncer avec justesse le caractère néocolonisé des écrits de Kamel Daoud. L’essai est ponctué des citations pertinentes d’Albert Memmi, ainsi que de la sagesse des poèmes de Nazim Hikmet.

"Qui n'aime pas son propre pays et les travailleurs de son pays est incapable d'aimer le monde entier et les travailleurs de ce monde et qui n'aime pas le monde et les travailleurs du monde entier est incapable d'aimer son pays et les travailleurs de son propre pays. Et qui ne sait pas aimer ne peut s'occuper de littérature, de peinture ou d'architecture" N.Hikmet
“…Et qui ne sait pas aimer [son peuple] ne peut s’occuper de littérature…”

…à bon entendeur.