« Sauvons notre école » est un article signé par un collectif de professeurs paru dans  le qutotidien francophone Le soir d’Algérie. Une autre version « tronquée » a été publiée dans le journal français Le Monde. Par contre, aucune version en arabe de cet article n’a été publiée dans un journal algérien arabophone.

Les co-auteurs (Ahmed Djebbar, Mohamed Harbi, Houari Touati, Wassini Laredj, Khaoula Taleb-Ibrahimi, Abderrazak Dourari) sont en majorité francophones. Quatre des six co-auteurs enseignent et/ou vivent en France. Quant aux Prof. Taleb-Ibrahimi et Prof. Dourari (Directeur du Centre National Pédagogique et Linguistique de l’Enseignement de Tamazight, le CNPLET), qui enseignent tous deux à l’université d’Alger, sont connus pour être de fervents défenseur de la Derja et du Français dans l’enseignement (voir ici.)

Pour Dourari, le français n’est pas la langue coloniale qui a été imposée au peuple Algérien au prix de son acculturation, le français fait partie de “nous”.

“… le professeur Douarari, quant à lui, va plus loin et considère que le «français fait partie de nous, il a formé une élite» et affirme que «l’école algérienne a plus francisé que l’école française»” in LeSoird’Algérie

Dans l’ensemble, l’article est plus une compilation de contributions qu’un article clair et cohérent. Sans fil conducteur qui expose clairement la réflexion des auteurs, le lecteur se perd dans des idées, constats et position idéologique qui se répètent et se bousculent sans formuler une thèse claire et concise.

Cependant, l’introduction supprimée dans la version du quotidien LeMonde est la clé de la compréhension de la thèse défendue par les auteurs. Elle est le point de départ de la réflexion. Les auteurs parlent d’aggiornamento, un mot étranger à notre histoire et civilisation. Ce concept signifie en italien “mise à jour” et  a été utilisé pour la première fois par l’église catholique lors du concil  Vatican II sur les réformes nécessaires pour ouvrir l’église à la modernité. Depuis, ce concept est utilisé pour qualifier toute mise à jour qui vise la modernité.

Ainsi, d’après ces intellectuels cet aggiornamento vers la modernité de notre société, et par la même de notre éducation, est nécessaire et urgent. Mais bien sûr, à aucun moment, ils ne définiront cette modernité. En omettant de le fair, ils s’alignent comme de bons intellectuels de la périphérie à l’hégémonie Européocentriste. La modernité, pour eux, ne peut être que celle définie par le Centre : l’Europe/l’occident et qui se résume par le rejet de tout ce qui est divin et sacré au profit de la rationalité.

Cette position en faveur de la Modernité clairement exposée au début du texte n’est ni académique, ni scientifique, elle est idéologique.

L’ironie veut que ces auteurs dénoncent les disputes «idéologiques extrêmes» autour de la langue … et oublient que leur position, dans ce texte, est aussi idéologique.

Nous comprenons ainsi aisément l’argumentation de ces professeurs lorsqu’ils affirment que ce qui empêche ce passage à la modernité de notre école et de notre société est la  sacralisation de l’arabe ainsi que l’ingérence de la religion dans l’éducation.

D’ailleurs, dans ce texte, l’arabe, est qualifiée  de simple « langue de l’enseignement public » et non pas comme la langue nationale et officielle qui unit notre nation passé et présent, encore moins comme la langue de notre civilisation arabo-musulmane transcrite  par nos ancêtres dans des manuscrits millénaires.

Le constat avancé, par les professeurs, sur l’état de l’enseignement de l’arabe, bien que sévère reste réaliste et partagé par beaucoup d’Algériens. Toutefois, au lieu de proposer des solutions tangibles, ils poursuivent leur diatribe à la recherche d’un coupable à blâmer. Ils avancent des positions idéologiques et affirmations gratuites qui ne sont en aucune manière des arguments. Ils passent ainsi de la réfutation de la sacralité de la langue arabe à l’état lamentable de la culture arabe dans notre pays pour enfin arriver au coupable : le salafisme la cause de tous les maux.

 Selon ces professeurs, l’école serait la proie des salafistes ou néo-salafistes et le seul argument avancé comme preuve de la prétendue mainmise des salfistes sur l’école est la vidéo de l’institutrice Sabah Boudras. Au passage, bien-sûr ils n’oublient pas d’imputer la guerre terroriste des années 90 à ces même Salafistes. Sans aucune preuve, ils se hasardent dans des affirmations dangereuses :

« C’est tout cela que le salafisme moderne a détruit dans notre pays, au point que celui-ci a oublié ses propres traditions hanafite et malékite. Il n’y a plus que l’ibadisme qui témoigne aujourd’hui pour la religion de nos pères. »

L’insinuation que tous les Musulmans Algériens, autres qu’Ibadites, sont forcément des Salafistes est réductrice et surtout dangereuse. Taxer de Salafistes, une majorité d’Algériens, qui défendent leur religion et tradition, pour les diaboliser est inacceptable de la part d’universitaires de ce calibre!

Leur position idéologique est renforcée par les éloges faits aux réformes de feu Mostefa Lacheraf, sans le nommer dans le texte – qui a « suspendu » l’arabisation qui était en cours dans l’enseignement au profit de l’enseignement en français en 1977- , ainsi que des réformes de la commision Benzaghou 2000 – qui a plaidé pour la séparation du religieux de l’école et le retour du bilinguisme – ces professeurs prennent clairement position pour un courant idéologique : francophone et laique.

Sans surprise ils concluent leur texte par l’éloge du libre arbitre:

«  Le Libre arbitre est le seul credo philosophique qui convienne au monde complexe dans lequel nous vivons »

La conclusion fait écho à l’aggiornamento annoncé en introduction. Le passage à la modernité passe par “le libre arbitre” pour “être-au-monde” (Das In-der-Welt-sein de Heidegger) . Dans le cadre de la modernité européenne et en language plus simple « le libre arbitre » signifie tout simplement : Mettre la religion de côté….Mettre Dieu de côté. Pour les Musulmans, c’est tout simplement inconcevable!

En réalité, ces professeurs tout comme la Minsitre Benghabrit (lire) adhèrent à la feuille de route tracée par le chercheur et diplomate français Gilbert Grandguillaume sur les débats et les enjeux linguistique(lire) en Algérie : Affaiblir la position de la langue arabe et instaurer le polylinguisme, voire le créole, au profit du français et écarter le religieux de l’école. En somme, rien de nouveau dans la guerre idéologique en cours pour l’éducation nationale.

Il est triste de constater qu’en Algérie du XXIème siècle ces intellectuels francophiles acceptent docilement leur statut d’intellectuel “colonisé” de la périphérie. Ils défendent la modernité de leur centre : l’occident (l’Europe) contre la tradition de leur peuple. Leur peuple est qualifié avec les mots de l’occident : les autres « comme ils disent » sont les islamistes, islamo-conservateurs, les salafistes ou pire des terroristes.

D’ailleurs, ce texte ne vise pas le débat. Ces professeurs ne s’adressent pas aux autres « les islamo-conservateurs ». C’est pour cela qu’aucune autre version en arabe de cet article n’a été publiée dans un journal arabophone Algérien. Lorsqu’on aspire à sauver l’école des Algériens et qu’on dénonce l’enseignement de l’arabe, la moindre des choses serait de publier un texte en arabe d’autant plus que l’un des auteurs, Wassini Laredj, est un écrivain arabophone !

Mais non! A chaque prise de position, ces intellectuels “colonisés” ont besoin de la reconnaissance des intellectuels du centre : la France. Chaque texte publié en français dans un journal Algérien doit aussi être publié dans un journal français quitte à sacrifier des paragraphes et des idées au passage. Ils savent que le débat visé n’est pas en Algérie, dans la périphérie. Il a toujours été au centre, leur centre : la France.

De là, nous comprenons mieux le sens de « notre école» dans le titre. Leur message salvateur lancé telle une bouteille à la mer « francophone » et qui diabolise tous les Algériens qui défendent l’arabe et l’Islam ne vise qu’à sauver « leur » école : moderne, laique, francophile et éternellement subordonnée à la France.