Cela fait deux ans que les centres culturels français en Algérie, célèbrent la semaine de la francophonie. Cet évènement culturel, qui a lieu au mois de mars, a, bien sûr, été relayé par la presse francophone et arabophone avec beaucoup d’enthousiasme… mais sans provoquer de débat. Pourtant, un tel évènement aurait due susciter des questionnements sur le sens de la francophonie ainsi que le statut et le rôle de la langue française en Algérie au 21ème siècle. Malheureusement, il n’en fut rien.

Pour cette occasion, le journal télévisé francophone d’Echourouk News le “19h INFO” avait invité le directeur de l’institut français d’Alger. Ce dernier a rappelé, aux algériens que nous sommes, l’importance de la langue française et la grande chance que nous avons de maitriser…cette langue. Pour conclure et au lieu de questionner l’utilité du français pour le développement de l’Algérie, le présentateur a préféré la question troublante “à qui appartient le français?” pour insinuer que “le français est aussi la langue des Algériens” sans oublier de rappeler le slogan cher aux francophones Algériens : “le français est un butin de guerre”. L’invité Français, souriant, a “bien aimé l’expression“.  Rappelons, si besoin est, que le Cheval de Troie était aussi un butin de guerre qui s’est avéré être… une ruse de guerre meurtrière.

Sans débat, la question reste posée. Au 21ème siècle, que vaut la langue française comparée aux autres langues étrangères les plus parlées dans le monde, surtout l’anglais?

Difficile de trouver des éléments de réponses en Algérie, vu que l’élite de notre pays, ne semble pas s’être préoccupée de cette question. Il est en effet triste et étrange que 54 ans après l’indépendance, l’Algérie officielle ne s’est toujours pas posée cette question. Aucun centre de recherche, tel que le CRASC ou le CNES, ou même des Think-tank privés tel que NABNI n’ont produit un rapport autour de ce thème pour répondre aux questions suivantes:

La langue française en tant que langue étrangère, est-elle bénéfique pour le développement culturel, scientifique et économique de l’Algérie au 21ème siècle? Est-il viable pour l’Algérie, sur le plan économique et scientifique, de préférer, pour l’éducation nationale,  l’enseignement du français à l’anglais ?

L’élite officielle, scientifique et culturelle de l’Algérie indépendante semble ne pas être assez indépendante pour poser ces questions, elle, qui se permet pourtant de débattre librement de l’importance et du statut de l’arabe, langue nationale et officielle.

La France,  quant à elle,  a produit plusieurs rapports sur la francophonie. Le dernier rapport de 2014 de J. Attali au titre révélateur « La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable » documente les enjeux économiques et de développement de la francophonie.

Ainsi selon ce rapport, seulement 4% de la population mondiale est francophone, et les enjeux de la francophonie pour la France dépassent le simple fait culturel. Il en va de sa survie économique.  

« …Ce déclin de la francophilophonie entraînerait une perte de parts de marché pour les entreprises françaises, un effondrement du droit continental au profit du droit anglo-saxon des affaires, ainsi qu’une perte d’attractivité pour les universités, la culture et les produits français et en français. Cela entraînerait la destruction de 120 000 emplois en France dès 2020, soit 0,5 points de chômage en plus, et un demi-million en 2050, soit 1,5 points de chômage en plus. » (Attali, 2014)

Il suffit de lire ces quelques passages du rapport pour être alarmé par la situation de cette langue et celle de notre pays qui joue, de facto, le rôle de pays subalterne enchainé à cette langue en déclin, hypothéquant, par la même, l’indépendance et le développement des générations futures.

 "Le français décline même en France. Certaines universités françaises sont tentées de n’enseigner plus qu’en anglais. L’effet d’image est négatif pour la langue française : cela véhicule un message de défiance sur la capacité de la langue française à transmettre des savoirs. Il est difficile de convaincre d’apprendre le français lorsque les Français, natifs francophones, semblent constamment souligner le caractère superflu de leur propre langue."

 Enfin, dans ce rapport, nous apprenons que la défense de la langue française revêt un caractère patriotique !

"Ce déclin s’explique en partie par un « manque de patriotisme linguistique » des entreprises françaises"

L’expression “patriotisme linguistique” employée par Attali dans le sens de la défense et l’usage de la langue française par les français dans le monde, devrait interpeller les Algériens qui se disent francophones. Il est triste, en effet, de constater que dans l’Algérie indépendante, ceux qui défendent l’usage de l’arabe, notre langue nationale et officielle, ne sont jamais considérés comme des “patriotes linguistiques” mais plutôt comme des  “rétrogrades” et des “islamo-baathistes”.

Pourtant, grâce à cette expression, nous savons maintenant que si au Nord de la méditerranée, la défense du français est du “patriotisme linguistique”, au Sud, elle ne peut être que “trahison linguistique”.